Corte europea dei diritti umani, quinta sezione, Gas e Dubois contro Francia, decisione del 15 marzo 2012, FRANCESE
Dean Spielmann, président,
Jean-Paul Costa,
Karel Jungwiert,
Boštjan M. Zupančič,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Ganna Yudkivska, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 12 avril 2011 et 14 février 2012,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 25951/07) dirigée contre la République française et dont deux ressortissantes de cet Etat, Mmes Valérie Gas et Nathalie Dubois (« les requérantes »), ont saisi la Cour le 15 juin 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérantes sont représentées par Me C. Mécary, avocat à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3. Les requérantes alléguaient en particulier qu’elles avaient fait l’objet d’une discrimination par rapport aux couples hétérosexuels car il n’existe pas en France de possibilité juridique permettant aux couples homosexuels d’avoir accès à l’adoption par le second parent. Invoquant l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8, les requérantes alléguaient avoir subi un traitement discriminatoire fondé sur leur orientation sexuelle et portant atteinte à leur droit au respect de la vie privée et familiale.
4. Par une décision du 31 août 2010, la chambre a déclaré la requête recevable. Le 30 novembre 2010, la chambre a décidé de tenir une audience sur le bien-fondé de l’affaire.
5. Tant les requérantes que le Gouvernement ont déposé des observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement). Des observations écrites ont également été reçues de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), la Commission internationale des Juristes (ICJ), l’European Region of the International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans and Intersex Association (ILGA-Europe), la British Association for Adoption and Fostering (BAAF) et le Network of European LGBT Families Associations (NELFA) que le Président de la Cour a autorisés à intervenir. Les parties ont répondu à ces commentaires (article 44 § 5 du règlement). Ces organisations ont en outre été autorisées à participer à la procédure orale.
6. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 12 avril 2011 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
– pour le Gouvernement
Mme A.-F. Tissier, sous-directrice des droits de l’homme, direction des
affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, co-agent,
M. J.-C. Gracia, secrétariat général du ministère de la Justice, conseil,
Mme C. Blanc, direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la Justice,
Mme M.-A. Recher Lambey, secrétariat général du ministère de la
Justice,
Mme A. Talbot, secrétariat général du ministère de la Justice,
Mme M. Schultz, direction générale de la Cohésion sociale du
ministère des Affaires sociales du ministère des Solidarités et de la
Cohésion sociale,
Mme J. Spiteri, direction des Affaires financières, juridiques et des
services du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé,
Mme E. Topin, direction des Affaires juridiques du ministère des
Affaires étrangères et européennes, conseillères ;
– pour les requérantes
Me C. Mécary, avocat,
Me Y. Streiff, avocat, conseils,
M. T. Bouzenoune, conseiller ;
– pour la tierce partie
M. R. Wintemute, professeur, droits de l’homme, King’s College
Londres, conseiller,
au nom de la Fédération internationale des Ligues des Droits de l’homme (FIDH), de la « International Commission of Jurists » (ICJ), de l’« European Region of the International Lesbian and Gay Association » (ILGA-Europe), de la « British Association for Adoption and Fostering » (BAAF) et du « Network of European LGBT Families Associations » (NELFA).
7. La Cour a entendu en leurs déclarations Me Mécary, Mme Tissier et M. Wintemute. Elle a également entendu Me Mécary et Mme Tissier en leurs réponses à des questions posées par des juges.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
8. Les requérantes sont nées respectivement en 1961 et 1965 et résident à Clamart.
9. Vivant en concubinage depuis 1989 avec Madame Valérie Gas (« la première requérante »), Madame Nathalie Dubois (« la deuxième requérante ») donna naissance en France, le 21 septembre 2000, à une fille, A. conçue en Belgique par procréation médicalement assistée avec donneur anonyme. A. n’a pas de filiation établie à l’égard du père, qui est un donneur anonyme conformément à la loi belge. L’enfant vit depuis sa naissance au domicile commun des requérantes. Le 22 septembre 2000, l’enfant a été inscrite sur les registres de l’état civil de la mairie de Clamart. Elle a été reconnue par sa mère le 9 octobre 2000.
10. Les deux requérantes conclurent ensuite un pacte civil de solidarité (PACS), enregistré le 15 avril 2002 au greffe du tribunal d’instance de Vanves.
11. Le 3 mars 2006, la première requérante forma devant le tribunal de grande instance de Nanterre une requête en adoption simple de la fille de sa partenaire, avec le consentement exprès de celle-ci donné devant notaire.
12. Le 12 avril 2006, le procureur de la République s’opposa à la demande d’adoption de la première requérante sur le fondement de l’article 365 du code civil (voir paragraphe 19).
13. Par un jugement du 4 juillet 2006, le tribunal constata que les conditions légales de l’adoption étaient remplies et qu’il était démontré que les requérantes s’occupent activement et conjointement de l’enfant, lui apportant soin et affection. Toutefois, le tribunal rejeta la demande aux motifs que l’adoption sollicitée aurait eu des conséquences légales contraires à l’intention des requérantes et à l’intérêt de l’enfant, en transférant l’autorité parentale à l’adoptant et en privant ainsi la mère biologique de ses propres droits sur l’enfant.
14. La première requérante interjeta appel de cette décision, et la deuxième requérante intervint volontairement dans la procédure.
Devant la cour d’appel de Versailles, les requérantes réaffirmèrent leur volonté d’établir, grâce à l’adoption, un cadre juridique sécurisant pour l’enfant conforme à la réalité sociale vécue par lui. Elles soutinrent par ailleurs que la perte de l’autorité parentale subie par la mère de l’enfant pouvait être corrigée par une délégation totale ou partielle de cette autorité, et arguèrent de l’admission par d’autres pays européens de l’adoption d’enfant établissant un lien entre personnes de même sexe.
15. Par un arrêt du 21 décembre 2006, la cour d’appel confirma le rejet de leur demande.
Si, à l’instar des premiers juges, la cour releva que les conditions légales de l’adoption étaient réunies et qu’il était établi que la première requérante participait activement au bien-être affectif et matériel de l’enfant, elle confirma que les conséquences légales de cette adoption n’étaient pas conformes à l’intérêt de l’enfant, dès lors que les requérantes ne pouvaient bénéficier du partage de l’autorité parentale prévu par l’article 365 du code civil en cas d’adoption par le conjoint du père ou de la mère, et que donc Madame Dubois se trouverait privée, du fait de l’adoption, de tout droit sur son enfant. La cour estima par ailleurs qu’une simple délégation ultérieure éventuelle de l’exercice de cette autorité ne suffisait pas à pallier les risques pour l’enfant résultant de la perte de l’autorité parentale par sa mère. La requête ne répondrait dès lors, selon la cour, qu’au souhait des requérantes de consacrer et légitimer une parenté conjointe à l’égard de l’enfant.
16. Le 21 février 2007, les requérantes formèrent un pourvoi en cassation, mais ne menèrent pas à son terme la procédure engagée devant la Cour de cassation. Le 20 septembre 2007, le premier président de la Cour de cassation rendit une ordonnance de déchéance du pourvoi.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Adoption
17. Il existe en droit français deux types d’adoption, l’adoption plénière et l’adoption simple.
1. L’adoption plénière
18. Elle ne peut être prononcée que durant la minorité de l’enfant et peut être demandée par des conjoints mariés ou par une personne seule. Elle a pour effet de conférer à l’enfant adopté une filiation qui se substitue à sa filiation d’origine (si elle existe) et de lui conférer le nom de l’adoptant. Un nouvel acte de naissance est établi et l’adoption est irrévocable (articles 355 et suivants du code civil).
2. L’adoption simple
19. En revanche, l’adoption simple ne rompt pas les liens entre l’enfant et sa famille d’origine, mais crée un lien de filiation supplémentaire (articles 360 et suivants du code civil). Elle peut être réalisée quel que soit l’âge de l’adopté, y compris lorsqu’il est majeur. Elle ajoute le nom de l’adoptant au nom déjà porté par l’adopté. Ce dernier conserve des droits successoraux dans sa famille d’origine et en acquiert vis-à-vis de l’adoptant. Elle crée des obligations réciproques entre l’adoptant et l’adopté, notamment une obligation alimentaire. Les parents de l’adopté ne sont tenus de lui fournir une aide financière que s’il ne peut les obtenir de l’adoptant.
Si l’adopté est mineur, l’adoption simple a pour effet d’investir l’adoptant de tous les droits d’autorité parentale dont le père ou la mère de l’enfant se trouve dès lors dessaisi. Le législateur a aménagé une exception à cette règle : lorsque l’adoption simple est réalisée par le conjoint marié du père ou de la mère de l’enfant adopté. Dans cette hypothèse, l’autorité parentale est partagée entre les époux. Ainsi :
Article 365 du code civil
« L’adoptant est seul investi à l’égard de l’adopté de tous les droits d’autorité parentale, inclus celui de consentir au mariage de l’adopté, à moins qu’il ne soit le conjoint du père ou de la mère de l’adopté ; dans ce cas, l’adoptant a l’autorité parentale concurremment avec son conjoint, lequel en conserve seul l’exercice, sous réserve d’une déclaration conjointe avec l’adoptant devant le greffier en chef du tribunal de grande instance aux fins d’un exercice en commun de cette autorité. (…) »
De plus, contrairement à l’adoption plénière, l’adoption simple peut être révoquée, à la demande de l’adoptant, de l’adopté, ou, lorsque celui-ci est mineur, du ministère public.
L’adoption simple est destinée, pour l’essentiel, et s’agissant de mineurs, à pallier les défaillances du ou des parents biologiques. Dans la pratique, les cas d’adoptions plénières concernent majoritairement des adoptions internationales d’enfants, alors qu’une large majorité des adoptions simples prononcées dans un cadre intrafamilial concernent des majeurs et ont souvent un objectif successoral.
B. Autorité parentale
20. L’autorité parentale est définie comme l’ensemble des droits et des devoirs des parents à l’égard des enfants mineurs. Elle vise à protéger l’enfant « dans sa sécurité, sa santé et sa moralité pour assurer son éducation et permettre son développement » (article 371-1 du code civil). En principe, dès lors que le lien de filiation est établi, tout parent d’un enfant mineur est titulaire de l’autorité parentale, qui ne peut lui être retirée que pour des causes graves. L’autorité parentale prend fin lors de la majorité, en principe à dix-huit ans. L’autorité parentale se distingue de l’exercice de l’autorité parentale. Ce dernier peut être confié à un seul des parents pour des motifs tenant à l’intérêt de l’enfant. Le parent auquel l’exercice de l’autorité parentale n’a pas été confié conserve le droit et le devoir de surveiller l’entretien et l’éducation de ses enfants. Il doit être informé des choix importants relatifs à leur vie et un droit de visite et d’hébergement ne peut, sauf motifs graves, lui être refusé.
21. Il existe des possibilités de délégation de l’autorité parentale à des tiers (articles 376 et suivants du code civil). Depuis la loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale, la délégation « classique » d’autorité parentale, régie par l’article 377 du code civil, prévoit que, lorsque les circonstances l’exigent, les parents ou l’un des deux peuvent saisir le juge aux affaires familiales pour que l’exercice de l’autorité parentale soit délégué à un tiers(un particulier, un établissement agréé ou le service départemental de l’Aide sociale à l’enfance). La délégation n’est pas définitive et ne peut comporter le droit de consentir à l’adoption. Dans ce cadre, il y a transfert total ou partiel de l’autorité parentale : les parents demeurent titulaires de l’autorité parentale, mais sont dépossédés de son exercice au profit d’un tiers.
22. Au sein de la procédure de délégation classique, la loi du 4 mars 2002 a institué une mesure plus souple de délégation-partage de l’autorité parentale (article 377-1 du code civil). Ainsi, le jugement de délégation de l’autorité parentale peut prévoir, « pour les besoins d’éducation de l’enfant », que les parents ou l’un d’entre eux, partageront tout ou partie de l’exercice de l’autorité parentale avec le tiers délégataire, sans être dépossédés d’une autorité partagée. Cette mesure permet l’organisation des rapports entre l’enfant, le couple séparé et les tiers, qu’il s’agisse des grands-parents, des beaux-parents ou des concubins. Chaque parent reste titulaire de l’autorité parentale et en conserve l’exercice. La délégation n’entraîne pas de transfert de nom ni d’établissement d’un lien de filiation, elle est provisoire et disparaît à la majorité de l’enfant.
C. Mariage et pacte civil de solidarité (PACS)
23. En France, le mariage n’est pas autorisé pour les couples homosexuels (article 144 du code civil). Ce principe a été réitéré par la Cour de cassation qui a rappelé, dans un arrêt rendu le 13 mars 2007, que « selon la loi française, le mariage est l’union d’un homme et d’une femme ».
24. Le pacte civil de solidarité (PACS) est défini par l’article 515-1 du code civil comme « un contrat conclu par deux personnes physiques majeures, de sexe différent ou de même sexe, pour organiser leur vie commune ». Le PACS implique pour les partenaires un certain nombre d’obligations dont celles de maintenir une vie commune et de s’apporter une aide matérielle et une assistance réciproques.
Le PACS confère également aux partenaires certains droits, accrus depuis l’entrée en vigueur au 1er janvier 2007 de la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités. Les partenaires forment ainsi un seul foyer fiscal ; ils sont par ailleurs assimilés aux conjoints mariés pour l’exercice de certains droits, spécialement au titre de l’assurance maladie et maternité et de l’assurance décès. Certains effets propres au mariage restent inapplicables aux partenaires du PACS, la loi notamment ne créant pas de lien d’alliance ou de vocation héréditaire entre partenaires. En particulier, la dissolution du PACS échappe aux procédures judiciaires de divorce et peut intervenir sur simple déclaration conjointe des partenaires ou décision unilatérale de l’un d’eux signifiée à son cocontractant (article 515-7 du code civil). De plus, le PACS n’a aucune incidence sur les dispositions du code civil relatives à la filiation adoptive et à l’autorité parentale.
D. Procréation médicalement assistée (PMA)
25. L’assistance médicale à la procréation, qui désigne les pratiques permettant la conception in vitro, le transfert d’embryons et l’insémination artificielle est régie par les articles L. 2141-1 et suivants du code de la santé publique. Aux termes de l’article L. 2141-2 du même code, la PMA n’est autorisée en France que dans un but thérapeutique en vue de « remédier à l’infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué » ou « d’éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité ». La PMA est autorisée au profit d’un homme et d’une femme formant un couple, en âge de procréer, mariés ou justifiant d’une vie commune.
26. Dans ce cas, l’article 311-20 du code civil prévoit une reconnaissance judiciaire de paternité pour le second parent dans les termes suivants :
« Les époux ou les concubins qui, pour procréer, recourent à une assistance médicale nécessitant l’intervention d’un tiers donneur, doivent préalablement donner, dans des conditions garantissant le secret, leur consentement au juge ou au notaire, qui les informe des conséquences de leur acte au regard de la filiation.
(…)
Celui qui, après avoir consenti à l’assistance médicale à la procréation, ne reconnaît pas l’enfant qui en est issu engage sa responsabilité envers la mère et envers l’enfant.
En outre, sa paternité est judiciairement déclarée. L’action obéit aux dispositions des articles 328 et 331. »
E. Jurisprudence
1. Sur le refus de l’adoption simple de l’enfant mineur du partenaire d’un PACS
27. La Cour de cassation a statué sur cette question à plusieurs reprises. Les deux premiers arrêts rendus le 20 février 2007 concernaient des espèces mettant en cause des femmes homosexuelles vivant en partenariat (PACS) et ayant des enfants tous rattachés légalement à leur mère, la filiation paternelle n’étant pas établie. Dans les deux cas, l’adoption simple des enfants avait été demandée, avec le consentement de la mère, par la partenaire. Une des requêtes avait été accueillie favorablement par la cour d’appel de Bourges, aux motifs notamment que « l’adoption était conforme à l’intérêt de l’enfant » et l’autre avait été rejetée par la cour d’appel de Paris. Au visa de l’article 365 du code civil, la première chambre civile de la Cour de cassation cassa et annula le premier arrêt d’appel :
« Qu’en statuant ainsi, alors que cette adoption réalisait un transfert des droits d’autorité parentale sur l’enfant en privant la mère biologique, qui entendait continuer à élever l’enfant, de ses propres droits, de sorte que, même si Mme Y… avait alors consenti à cette adoption, en faisant droit à la requête la cour d’appel a violé le texte susvisé ; »
Elle confirma le second arrêt d’appel :
« Mais attendu qu’ayant retenu à juste titre que Mme Y …, mère des enfants, perdrait son autorité parentale sur eux en cas d’adoption par Mme X …, alors qu’il y avait communauté de vie, puis relevé que la délégation de l’autorité parentale ne pouvait être demandée que si les circonstances l’exigeaient, ce qui n’était ni établi, ni allégué, et qu’en l’espèce, une telle délégation ou son partage étaient, à l’égard d’une adoption, antinomique et contradictoire, l’adoption d’un enfant mineur ayant pour but de conférer l’autorité parentale au seul adoptant, la cour d’appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision ; » (1re Civ. 20 février 2007, 2 arrêts, Bulletin civil 2007 I nos 70 et 71).
La Cour de cassation confirma par la suite cette approche :
« d’une part, que (le père ou) la mère de l’enfant perdrait son autorité parentale en cas d’adoption de son enfant alors qu’(il ou) elle présente toute aptitude à exercer cette autorité et ne manifeste aucun rejet à son égard, d’autre part, que l’article 365 du code civil ne prévoit le partage de l’autorité parentale que dans le cas de l’adoption de l’enfant du conjoint, et qu’en l’état de la législation française, les conjoints sont des personnes unies par les liens du mariage, la cour d’appel, qui n’a contredit aucune des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme, a légalement justifié sa décision. » (1re Civ. 19 décembre 2007, Bulletin civil 2007 I no 392 ; voir aussi, dans le même sens, 1re Civ. 6 février 2008, inédit, pourvoi no 07-12948 et 1re Civ. 9 mars 2011).
28. Les deux premiers arrêts rendus le 20 février 2007 furent publiés au Bulletin d’information de la Cour de cassation, sur internet et au rapport annuel.
2. Sur la délégation d’autorité parentale
29. Dans un premier arrêt de principe (Cass. 1re civ., 24 février 2006, publié au Bulletin), la Cour de cassation autorisa un couple homosexuel pacsé à bénéficier de ce dispositif. Elle jugea que l’article 377 al. 1 du code civil « ne s’oppose pas à ce qu’une mère seule titulaire de l’autorité parentale en délègue tout ou partie de l’exercice à la femme avec laquelle elle vit en union stable et continue, dès lors que les circonstances l’exigent et que la mesure est conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant ». Par la suite, la Cour de cassation restreignit les conditions requises pour l’octroi d’une délégation d’autorité parentale (Cass. 1re civ., 8 juillet 2010, publié au Bulletin). Si les conditions posées restent identiques (il faut que les circonstances l’exigent et que la mesure soit conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant), la Cour de cassation exige désormais que les demanderesses justifient qu’une telle mesure permettrait d’améliorer les conditions de vie des enfants et qu’elle présente un caractère indispensable. Cette conception restrictive est désormais appliquée par les juges du fond (TGI Paris, 5 novembre 2010).
3. Décision du Conseil constitutionnel du 6 octobre 2010
30. Dans le cadre d’une espèce concernant des faits similaires à ceux de la présente affaire, les requérantes alléguèrent une atteinte au principe constitutionnel d’égalité et demandèrent la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel, ce que la Cour de cassation accepta.
31. Dans une décision du 6 octobre 2010, le Conseil constitutionnel précisa qu’il ne lui appartenait pas de statuer in abstracto sur la constitutionnalité des dispositions légales contestées, mais à la lumière de l’interprétation jurisprudentielle constante qu’en fait la Cour de cassation. En l’espèce, la constitutionnalité de l’article 365 du code civil devait donc s’apprécier en ce que cette disposition a pour effet (consacré par la Cour de cassation le 20 février 2007) d’interdire par principe l’adoption de l’enfant par un partenaire ou un concubin.
En premier lieu, le Conseil rappela que les dispositions de l’article 365 ne font pas obstacle à la liberté des couples de vivre en concubinage ou de conclure un PACS, pas plus qu’elles n’empêchent le parent biologique d’associer son concubin ou son partenaire à l’éducation de l’enfant. Il jugea cependant que le droit de mener une vie familiale, tel que garanti par la Constitution, n’ouvre pas droit à l’établissement d’un lien de filiation adoptive entre l’enfant et le partenaire de son parent.
En second lieu, il constata que le législateur a délibérément décidé de réserver la faculté d’une adoption simple aux couples mariés et qu’il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle du législateur.
III. Textes et documents DU CONSEIL de l’EUROPE
A. La Convention européenne en matière d’adoption des enfants (révisée)
32. Ouverte à la signature le 27 novembre 2008, cette Convention est entrée en vigueur le 1er septembre 2011. Elle n’a pas été signée ni ratifiée par la France. Elle prévoit, en ses dispositions pertinentes :
« Article 7 – Conditions de l’adoption
1 La législation permet l’adoption d’un enfant :
a par deux personnes de sexe différent
i qui sont mariées ensemble ou,
ii lorsqu’une telle institution existe, qui ont contracté un partenariat enregistré ;
b par une seule personne.
2 Les Etats ont la possibilité d’étendre la portée de la présente Convention aux couples homosexuels mariés ou qui ont contracté un partenariat enregistré ensemble. Ils ont également la possibilité d’étendre la portée de la présente Convention aux couples hétérosexuels et homosexuels qui vivent ensemble dans le cadre d’une relation stable.
(…)
Article 11 – Effets de l’adoption
1 Lors de l’adoption, l’enfant devient membre à part entière de la famille de l’adoptant ou des adoptants et a, à l’égard de l’adoptant ou des adoptants et à l’égard de sa ou de leur famille, les mêmes droits et obligations que ceux d’un enfant de l’adoptant ou des adoptants dont la filiation est légalement établie. L’adoptant ou les adoptants assument la responsabilité parentale vis-à-vis de l’enfant. L’adoption met fin au lien juridique existant entre l’enfant et ses père, mère et famille d’origine.
2 Néanmoins, le conjoint, le partenaire enregistré ou le concubin de l’adoptant conserve ses droits et obligations envers l’enfant adopté si celui-ci est son enfant, à moins que la législation n’y déroge.
(…)
4 Les Etats Parties peuvent prévoir des dispositions relatives à d’autres formes d’adoption ayant des effets plus limités que ceux mentionnés aux paragraphes précédents du présent article. »
B. Recommandation du Comité des ministres
33. La recommandation CM/Rec(2010) du Comité des ministres, adoptée le 31 mars 2010, sur des mesures visant à combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et sur l’identité de genre recommande notamment aux Etats membres :
« (…)
24. Lorsque la législation nationale reconnaît les partenariats enregistrés entre personnes de même sexe, les Etats membres devraient viser à ce que leur statut juridique, ainsi que leurs droits et obligations soient équivalents à ceux des couples hétérosexuels dans une situation comparable.
25. Lorsque la législation ne reconnaît ni confère de droit ou d’obligation aux partenariats enregistrés entre personnes de même sexe et aux couples non mariés, les Etats membres sont invités à considérer la possibilité de fournir, sans aucune discrimination, y compris vis-à-vis de couples de sexes différents, aux couples de même sexe des moyens juridiques ou autres pour répondre aux problèmes pratiques liés à la réalité sociale dans laquelle ils vivent. »
EN DROIT
34. Les requérantes allèguent avoir subi un traitement discriminatoire fondé sur leur orientation sexuelle et portant atteinte à leur droit au respect de la vie privée et familiale. Elles invoquent l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8, qui se lisent comme suit :
Article 8
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
Article 14
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (…) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
I. SUR L’EXCEPTION PRÉLIMINAIRE DU GOUVERNEMENT
35. A titre principal, le Gouvernement réitère que l’article 8 de la Convention n’est pas applicable en l’espèce. Reprenant l’argumentation déjà développée lors de l’examen de la recevabilité de l’affaire, le Gouvernement se réfère à la jurisprudence de la Cour selon laquelle il s’agit d’apprécier in concreto l’existence d’une vie familiale, qui n’est pas limitée au cadre juridique du mariage. Toutefois, le Gouvernement souligne que, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’article 8 ne garantit aucun droit à l’adoption, ni à l’établissement d’une filiation entre l’adulte et l’enfant avec lequel il entretient une vie familiale, et moins encore un droit à l’enfant. Or, dès lors que le droit à l’adoption ne relève pas de la Convention, le Gouvernement estime que les requérantes ne peuvent se prévaloir d’une discrimination dans le bénéfice de ce droit puisque l’article 14 de la Convention n’a pas d’existence indépendante.
36. Les requérantes se réfèrent aux arguments exposés dans le cadre de l’examen de la recevabilité de l’affaire.
37. La Cour constate que les requérantes se fondent sur l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention et que cette dernière disposition ne garantit ni le droit de fonder une famille, ni le droit d’adopter, ce dont les parties conviennent (E.B. c. France [GC], no 43546/02, § 41, 22 janvier 2008). Toutefois, force est de constater que l’examen in concreto de la situation des requérantes permet de conclure à la présence d’une « vie familiale » au sens de l’article 8 de la Convention. De plus, l’orientation sexuelle relève de la sphère personnelle protégée par l’article 8 de la Convention. Il s’ensuit que les faits de la cause tombent « sous l’empire » de l’un au moins des articles de la Convention, qui pourra être complété par l’article 14 invoqué en l’espèce.
38. La Cour renvoie à cet égard à sa décision du 31 août 2010 sur la recevabilité de la requête laquelle a conclu à l’applicabilité en l’espèce de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8.
39. Il y a lieu en conséquence de rejeter l’exception préliminaire du Gouvernement et de poursuivre l’examen au fond du grief.
II. SUR LE BIEN-FONDÉ
A. Thèses des parties
1. Les requérantes
40. Les requérantes se plaignent du rejet de l’adoption sollicitée par la première requérante de l’enfant de sa compagne. Elles soutiennent que le motif pris des conséquences légales d’une telle adoption opérant retrait de l’autorité parentale de la mère ne constitue un obstacle définitif à l’adoption que pour les couples de même sexe puisque, contrairement aux personnes de sexe différent, elles ne peuvent pas contracter mariage, et donc bénéficier des dispositions de l’article 365 du code civil. Elles estiment que le refus ainsi opposé, par une position de principe, de prononcer l’adoption simple de A. par la première requérante a porté atteinte à leur droit à la vie privée et familiale et ce de façon discriminatoire.
41. Les requérantes rappellent que A. a été conçue en Belgique par insémination artificielle avec donneur anonyme. Bien qu’élevée depuis sa naissance par les deux femmes, A. n’a, sur le plan juridique, qu’un seul parent, la deuxième requérante. Celle-ci a transmis son nom à A., exerce seule l’autorité parentale, et lui transmettra ses biens à sa mort. En revanche, sur le plan juridique, la première requérante n’a ni devoir ni droit vis-à-vis de l’enfant. Les requérantes expliquent avoir souhaité remédier à cette situation par une demande d’adoption simple, celle-ci permettant d’établir un lien de filiation qui s’ajoute au lien de filiation d’origine. A. aurait donc eu juridiquement deux parents et la sécurité juridique qui en découle, ce qui leur a été refusé par les instances nationales.
42. Les requérantes feraient donc l’objet d’une discrimination fondée sur leur orientation sexuelle puisque les autorités françaises ont exclu de l’adoption simple les partenaires d’un couple de personnes du même sexe, mais pas les personnes unies par un mariage. Les requérantes rappellent en effet que le mariage homosexuel demeure interdit en France, comme l’a indiqué la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 13 mars 2007.
Cette différence de traitement discriminatoire se vérifierait également entre la situation des concubins et pacsés de même sexe et ceux de sexe différent, puisque les hétérosexuels peuvent échapper à la rigueur de l’article 365 du code civil en se mariant, ce qui n’est pas possible pour les homosexuels. Les requérantes exposent ne pas demander en l’espèce l’accès au mariage, mais soulignent la neutralité seulement apparente des dispositions du code civil, qui créent une discrimination indirecte.
43. A l’audience, pour illustrer leur propos, les requérantes ont comparé la situation d’A. à celle d’une autre enfant, A.D. Celle-ci aurait été conçue par insémination artificielle avec un donneur anonyme par une femme vivant en concubinage avec un homme, Monsieur D. Or, alors que les situations d’A. et d’A.D. seraient en tous points comparables, leur statut juridique est différent, puisque par application de l’article 311-20 du code civil Monsieur D. est le père juridique de l’enfant, sans même avoir à faire de demande d’adoption simple (voir paragraphe 26). Ainsi, que ce soit pour des actes de la vie courante (inscription à l’école et suivi scolaire) ou dans des circonstances plus graves (accident de la circulation), A. ne peut être accompagnée que par sa mère, alors qu’A.D. peut être prise en charge par Monsieur D. De plus, en cas de décès de la mère biologique, A. devient orpheline et peut être confiée à un tuteur ou à une famille d’accueil, alors qu’A.D. sera confiée à son père juridique. Les requérantes en déduisent que la législation française concernant l’adoption simple et l’insémination avec donneur anonyme (IAD) empêche l’établissement d’un lien de filiation adoptif entre A. et la première requérante, alors que cela serait possible si cette dernière était un homme. Même si les requérantes soulignent ne pas souhaiter remettre en cause l’accès à l’IAD tel que prévu par le droit français, il y aurait une différence de traitement juridique selon que les couples élevant les enfants sont composés de deux femmes vivant en concubinage ou ayant conclu un PACS, ou d’un homme et d’une femme concubins ou pacsés.
44. Ajoutant un autre exemple, les requérantes évoquent la possibilité que, suite au décès de Monsieur D., la mère d’A.D. rencontre un autre homme, Monsieur N., et décide de vivre en concubinage ou de se marier avec lui. Monsieur N. pourrait demander l’adoption simple d’A.D. alors que celle d’A. serait refusée à la première requérante.
45. Il y aurait donc une différence de traitement entre la situation de deux femmes vivant en concubinage ou ayant conclu un PACS, qui ne peuvent pas se marier, et la situation d’une femme et d’un homme qui, s’ils se marient, autorise le conjoint de la mère à demander l’adoption simple de l’enfant avec un partage automatique de l’autorité parentale.
46. Or, selon les requérantes, cette différence de traitement ne poursuit aucun but légitime. En tout cas, l’intérêt de l’enfant commanderait de lui assurer la protection juridique de deux parents plutôt que d’un seul. De plus, selon elles, la délégation partage de l’autorité parentale (DPAP), qu’elles n’ont d’ailleurs pas demandée aux instances nationales, serait insuffisante. En effet, la DPAP ne concerne que l’autorité parentale, est temporaire et n’est pas accordée aisément par les juridictions nationales depuis le 8 juillet 2010 (voir paragraphe 29). Elles soulignent que la meilleure protection de l’intérêt de l’enfant est assurée par l’adoption simple, et non par la DPAP.
47. Les requérantes concluent que le refus d’adoption simple qui leur a été opposé constitue une discrimination à la fois directe et indirecte fondée sur l’orientation sexuelle et contraire à la Convention. Elles considèrent que le gouvernement français devrait proposer des modifications législatives pour mettre fin à cette discrimination.
2. Le Gouvernement
48. Le Gouvernement rappelle d’abord les régimes juridiques de l’adoption en droit français ainsi que celui relatif à la délégation de l’autorité parentale, et leurs fondements (voir paragraphes 17 à 22 ci-dessus). Quant à la présente espèce, à l’audience le Gouvernement a noté que les requérantes n’ont pas formulé de demande de DPAP, alors que celle-ci peut être justifiée par les circonstances (par exemple, départ en voyage de la deuxième requérante).
49. Ensuite, le Gouvernement considère qu’aucune discrimination objective ne résulte de l’article 365 du code civil, puisque cette disposition est applicable de la même façon à tous les couples non mariés, et ce quelle que soit la composition du couple. La seule exception prévue par l’article litigieux, le conjoint marié, a été mise en place par le législateur dans un souci de protection des intérêts de l’enfant. En effet, selon le Gouvernement, le mariage demeure une institution garantissant une stabilité du couple plus importante que d’autres types d’unions. De plus, en cas de dissolution du mariage, l’intervention du juge aux affaires familiales est automatique. Au contraire, le PACS présente une grande souplesse aussi bien pour le conclure que pour le défaire, et n’emporte aucune conséquence en matière familiale et aucun effet en matière de filiation. Compte tenu de ces éléments, le législateur a donc voulu limiter les possibilités d’adoption simple afin d’assurer à l’enfant un cadre pérenne, tant dans sa prise en charge que dans son éducation.
50. Le Gouvernement réfute également l’existence d’une discrimination par ricochet ou indirecte invoquée par les requérantes, découlant de ce que le mariage est réservé en France aux couples hétérosexuels. Le Gouvernement expose à cet égard que, selon la jurisprudence de la Cour, la vie familiale peut s’exercer en dehors du seul cadre du mariage, comme elle peut s’exercer en dehors de liens juridiques de filiation.
51. En tout état de cause, si la Cour venait à considérer qu’il existe une différence de traitement, le Gouvernement considère que celle-ci est justifiée et ne constitue pas une discrimination, qu’il s’agisse de la comparaison de la situation des requérantes avec celle d’un couple marié ou avec celle d’un couple hétérosexuel pacsé ou vivant en concubinage.
52. A l’audience, le Gouvernement a souligné en particulier que l’ensemble du droit français de la filiation est fondé sur l’altérité sexuelle. Compte tenu de cette approche, qui relève d’un choix de société, le Gouvernement estime que la mise en place de la possibilité pour un enfant d’avoir une filiation établie uniquement à l’égard de deux femmes ou de deux hommes constitue une réforme de principe qui ne pourrait émaner que d’un Parlement. Cette question devrait donc être traitée globalement à l’occasion d’un débat démocratique, et non par des biais détournés comme le partage de l’autorité parentale dans l’adoption simple.
3. Les tiers intervenants
53. La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), la Commission internationale des Juristes (ICJ), l’European Region of the International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans and Intersex Association (ILGA-Europe), la British Association for Adoption and Fostering (BAAF) et le Network of European LGBT Families Associations (NELFA) soumettent à la Cour une intervention commune.
54. Ces organisations précisent d’abord que l’adoption par des homosexuels relève de trois situations bien distinctes : en premier lieu, il peut s’agir d’un célibataire souhaitant adopter, dans un pays membre où cela est autorisé, même à titre exceptionnel, étant entendu que tout partenaire n’aura aucun droit à l’égard de l’enfant adopté (adoption individuelle) ; en deuxième lieu, l’un des membres d’un couple du même sexe peut souhaiter adopter l’enfant de son partenaire, permettant ainsi aux deux membres de ce couple d’exercer l’autorité parentale vis-à-vis de l’enfant adopté (adoption par un second parent) ; enfin, les deux membres d’un couple du même sexe peuvent vouloir adopter ensemble un enfant qui n’a aucun lien avec eux, de sorte que les deux partenaires acquièrent simultanément les droits parentaux à l’égard de l’enfant adopté (adoption conjointe). Dans l’affaire E.B. c. France précitée, la Cour s’est prononcée en faveur d’un accès égal à l’adoption simple pour toute personne, quelle que soit son orientation sexuelle. En l’espèce, c’est l’adoption par un second parent qui est en cause.
55. En 2011, dix Etats membres du Conseil de l’Europe sur quarante-sept autorisaient l’adoption par le second parent, et des modifications législatives dans le même sens sont à l’étude dans d’autres pays. Selon les tiers intervenants, un consensus paraît donc se dégager de plus en plus dans le sens suivant : lorsqu’un enfant est élevé par un couple homosexuel stable, la reconnaissance juridique du statut du deuxième parent renforce le bien-être de l’enfant et assure une meilleure protection de ses intérêts.
56. Dans d’autres Etats, la législation et la jurisprudence suivent la même orientation. Ainsi, l’adoption par le second parent est possible pour les couples homosexuels dans treize provinces du Canada, dans au moins seize des cinquante Etats américains et dans d’autres pays tels que le Brésil, l’Uruguay, la Nouvelle Zélande et certaines parties de l’Australie.
57. Se référant à la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant, à la jurisprudence pertinente de la Cour ainsi qu’à celle de certaines cours nationales (comme la Chambre des Lords britannique ou la Cour constitutionnelle d’Afrique du sud), les tiers intervenants demandent à la Cour de consacrer cette approche, qui privilégie selon eux la protection de l’intérêt de l’enfant.
B. Appréciation de la Cour
1. Principes généraux applicables
58. Selon la jurisprudence constante de la Cour, pour qu’un problème se pose au regard de l’article 14, il doit y avoir une différence dans le traitement de personnes placées dans des situations comparables. Une telle distinction est discriminatoire si elle manque de justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Par ailleurs, les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement (Burden c. Royaume-Uni [GC], no 13378/05, § 60, CEDH 2008), y compris des distinctions de traitement juridique (Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, § 38, série A no 31).
59. D’une part, la Cour a maintes fois dit que, comme les différences fondées sur le sexe, les différences fondées sur l’orientation sexuelle doivent être justifiées par des raisons particulièrement graves (Karner c. Autriche, no 40016/98, § 37, CEDH 2003-IX, L. et V. c. Autriche, nos 39392/98 et 39829/98, § 45, CEDH 2003-I, Smith et Grady c. Royaume-Uni, nos 33985/96 et 33986/96, § 90, CEDH 1999-VI, et Schalk et Kopf c. Autriche, no 30141/04, §§ 96 et 97, CEDH 2010).
60. D’autre part, la marge d’appréciation dont jouissent les Etats pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement est d’ordinaire ample lorsqu’il s’agit de prendre des mesures d’ordre général en matière économique ou sociale (voir, par exemple, Schalk et Kopf, précité, § 97).
2. Application de ces principes au cas d’espèce
61. Avant tout, la Cour relève que la présente affaire diffère de l’affaire E.B. c. France précitée. Celle-ci concernait le traitement d’une demande d’agrément en vue d’adopter présentée par une personne célibataire homosexuelle. Dans cette affaire, la Cour a rappelé que le droit français autorise l’adoption d’un enfant par un célibataire, ouvrant ainsi la voie à l’adoption par une personne célibataire homosexuelle. Compte tenu de cette réalité du régime légal interne, elle a en revanche considéré que les raisons avancées par le Gouvernement ne pouvaient être qualifiées de particulièrement graves et convaincantes pour justifier le refus d’agrément opposé à la requérante. Celle-ci s’était donc vue opposer des motifs tenant à sa situation, que la Cour a jugés discriminatoires (E.B. c. France, précitée, § 94).
62. La Cour constate que tel n’est pas le cas en l’espèce dès lors que les requérantes se plaignent du refus d’adoption simple qui leur a été opposé concernant l’enfant A. A l’appui de leur décision, les juridictions nationales ont estimé que puisque l’adoption simple réalise un transfert des droits d’autorité parentale à l’adoptante, elle n’est pas conforme à l’intérêt de l’enfant dès lors que la mère biologique entend continuer à élever cet enfant. Les juridictions ont ainsi appliqué les dispositions de l’article 365 du code civil qui régit la dévolution de l’exercice de l’autorité parentale dans l’adoption simple. N’étant pas mariées, les requérantes n’ont pas pu bénéficier de la seule exception prévue par ce texte.
63. S’agissant de l’insémination artificielle avec donneur anonyme (IAD) telle que prévue par le droit français, la Cour constate que, sans remettre en cause les conditions d’accès à ce dispositif, les requérantes en critiquent les conséquences juridiques et allèguent une différence de traitement injustifiée (paragraphe 43 in fine). Or, la Cour observe d’abord que les requérantes n’ont pas contesté cette législation devant les juridictions nationales. Surtout, la Cour relève que si le droit français ne prévoit l’accès à ce dispositif que pour les couples hétérosexuels, cet accès est également subordonné à l’existence d’un but thérapeutique, visant notamment à remédier à une infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement constaté ou à éviter la transmission d’une maladie grave (voir paragraphes 25 et 26). Ainsi, pour l’essentiel, l’IAD n’est autorisée en France qu’au profit des couples hétérosexuels infertiles, situation qui n’est pas comparable à celle des requérantes. Il s’ensuit, pour la Cour, que la législation française concernant l’IAD ne peut être considérée comme étant à l’origine d’une différence de traitement dont les requérantes seraient victimes. La Cour constate également que ces normes ne permettent pas l’établissement du lien de filiation adoptif qu’elles revendiquent.
64. Les requérantes soutiennent que le refus opposé par les juridictions françaises de prononcer l’adoption simple de A. par la première requérante a porté atteinte à leur droit à la vie privée et familiale de façon discriminatoire. Elles allèguent subir une différence de traitement injustifiée en tant que couple homosexuel par rapport aux couples hétérosexuels, qu’ils soient mariés ou non.
65. D’abord, la Cour estime donc nécessaire d’examiner la situation juridique des requérantes par rapport à celle des couples mariés. Elle constate que l’article 365 du code civil aménage un partage de l’autorité parentale lorsque l’adoptant se trouve être le conjoint du parent biologique de l’adopté, ce dont ne peuvent bénéficier les requérantes, compte tenu de l’interdiction de se marier qui leur est faite en droit français.
66. D’emblée, la Cour rappelle qu’elle a déjà énoncé, dans le cadre de l’examen de l’affaire Schalk et Kopf précitée, que l’article 12 de la Convention n’impose pas aux gouvernements des Etats parties l’obligation d’ouvrir le mariage à un couple homosexuel (Schalk et Kopf, précité, §§ 49 à 64). Le droit au mariage homosexuel ne peut pas non plus se déduire de l’article 14 combiné avec l’article 8 (ibid., § 101). De plus, elle a estimé que lorsque les Etats décident d’offrir aux couples homosexuels un autre mode de reconnaissance juridique, ils bénéficient d’une certaine marge d’appréciation pour décider de la nature exacte du statut conféré (ibid., § 108).
67. La Cour relève qu’en l’espèce, les requérantes précisent ne pas demander l’accès au mariage, mais, se trouvant, selon elles, dans une situation analogue, elles allèguent une distinction discriminatoire.
68. La Cour n’est pas convaincue par cet argument. Elle rappelle, comme elle l’a déjà constaté, que le mariage confère un statut particulier à ceux qui s’y engagent. L’exercice du droit de se marier est protégé par l’article 12 de la Convention et emporte des conséquences sociales, personnelles et juridiques (Burden, précité, § 63, et Joanna Shackell c. Royaume-Uni (déc.), no 45851/99, 27 avril 2000 ; voir aussi Nylund c. Finlande (déc.), no 27110/95, CEDH 1999-VI, Lindsay c. Royaume-Uni (déc.), no 11089/84, 11 novembre 1986, et Şerife Yiğit c. Turquie [GC], no 3976/05, 2 novembre 2010). Par conséquent, la Cour estime que l’on ne saurait considérer, en matière d’adoption par le second parent, que les requérantes se trouvent dans une situation juridique comparable à celle des couples mariés.
69. Ensuite, et pour en venir à la deuxième partie du grief des requérantes, la Cour doit examiner leur situation par rapport à celles des couples hétérosexuels non mariés. Ces couples peuvent avoir conclu un PACS, comme les requérantes, ou vivre en concubinage. Pour l’essentiel, la Cour relève que des couples placés dans des situations juridiques comparables, la conclusion d’un PACS, se voient opposer les mêmes effets, à savoir le refus de l’adoption simple (voir paragraphes 19, 24 et 31). Elle ne relève donc pas de différence de traitement fondée sur l’orientation sexuelle des requérantes.
70. Certes, les requérantes allèguent une discrimination indirecte fondée à nouveau sur l’impossibilité de se marier, alors que les couples hétérosexuels peuvent échapper à l’article 365 du code civil par ce biais.
71. Toutefois, à cet égard, la Cour ne peut que se référer au constat déjà effectué précédemment (voir paragraphes 66 à 68).
72. Enfin, et à titre subsidiaire, la Cour observe qu’elle a déjà reconnu que la logique de la conception de l’adoption litigieuse, qui entraîne la rupture du lien de filiation antérieur entre la personne adoptée et son parent naturel est valable pour les personnes mineures (voir, mutatis mutandis, Emonet et autres c. Suisse, no 39051/03, § 80, 13 décembre 2007). Elle estime que, compte tenu du fondement et de l’objet de l’article 365 du code civil (voir paragraphe 19), qui régit la dévolution de l’exercice de l’autorité parentale dans l’adoption simple, l’on ne saurait, en se fondant sur la remise en cause de l’application de cette seule disposition, légitimer la mise en place d’un double lien de filiation en faveur de A.
73. Partant, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Rejette à l’unanimité, l’exception préliminaire du Gouvernement ;
2. Dit, par six voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation des articles 14 et 8 combinés de la Convention.
Fait en français, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 15 mars 2012.
Claudia Westerdiek Dean Spielmann
Greffière Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :
– opinion concordante du juge Costa à laquelle se rallie le juge Spielmann ;
– opinion concordante du juge Spielmann à laquelle se rallie la juge Berro-Lefèvre ;
– opinion dissidente du juge Villiger.
D.S.
C.W.
OPINION CONCORDANTE DU JUGE COSTA
À LAQUELLE SE RALLIE LE JUGE SPIELMANN
J’ai voté pour la non-violation de l’article 14 de la Convention, combiné avec son article 8. J’aimerais exprimer quelques réserves par rapport à cette solution et quelques remarques sur la suite qui pourrait être donnée à cette affaire, notamment par l’Etat défendeur, la France.
Les faits sont simples. Mmes Gas et Dubois, la première et la seconde requérantes, vivent en couple. D’abord concubines, elles ont ensuite conclu un pacte civil de solidarité (PACS). La seconde requérante a mis au monde une petite fille, conçue par procréation médicalement assistée, d’un donneur anonyme, qu’elle a reconnue. Puis sa compagne, la première requérante, avec son consentement exprès, a demandé à adopter l’enfant. Les juridictions nationales ont rejeté cette demande, en se fondant sur l’article 365 du code civil, qui n’interdit pas en soi l’adoption dans un tel cas, mais parce que celle-ci aurait eu pour effet de transférer à la première requérante l’autorité parentale, en privant la seconde requérante de celle-ci. L’article 365 ne prévoit en effet qu’une seule exception à ce transfert exclusif, lorsque l’adoptant est le conjoint du parent. Or Mme Gas n’est pas le conjoint de Mme Dubois et, en l’état du droit français, ne peut pas l’être, puisqu’elles sont du même sexe.
Les deux requérantes ont donc soutenu devant notre Cour que ce refus était discriminatoire au sens de l’article 14.
La situation résultant de cette application – à mon sens correcte – de l’article 365 révèle quelques paradoxes.
Tout d’abord, si les requérantes avaient été un homme et une femme, mais non mariés, ils n’auraient pas pu davantage mener à bien un tel projet d’adoption ; il est donc difficile de dire qu’il s’agit ici d’une discrimination en fonction du sexe, ou encore moins homophobe.
Ensuite, il est exact que les deux requérantes ne pouvaient pas se marier. Certes, elles ont soutenu qu’elles ne réclamaient pas de droit au mariage homosexuel (ou de droit au mariage pour deux personnes du même sexe), mais il est clair que si la prohibition d’un tel mariage venait à tomber, et qu’elles décident de passer entre elles du PACS au mariage, l’adoption de la petite fille ne se heurterait plus à l’obstacle sur lequel se sont fondés les tribunaux français. Quant au fait que l’adoptante serait homosexuelle, il ne s’opposerait pas par principe à son projet d’adoption, comme la Cour l’a jugé dans l’affaire E.B. c. France (arrêt de Grande Chambre du 22 janvier 2008).
En définitive, le seul terrain sur lequel une discrimination pourrait être trouvée est l’inégalité de traitement entre deux adoptants, quel que soit leur sexe, selon que l’un est le conjoint du parent biologique et légal, et que l’autre ne l’est pas, mais cela ne concerne pas directement nos requérantes. L’arrêt n’a donc pas tort de dire au paragraphe 69 que le grief des requérantes, en tant qu’il touche à leur orientation sexuelle, n’est pas fondé, puisque l’article 365, à mon avis, ne distingue pas ses effets en fonction de l’orientation sexuelle.
J’ajoute cependant que j’ai été quelque peu ébranlé par l’opinion dissidente de mon collègue le juge Villiger. Il estime, en indiquant quelques aspects pratiques importants, que la situation à la base de la présente affaire est incompatible avec l’« intérêt supérieur de l’enfant ». Or il est constant que cette notion occupe une place importante dans la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, notamment à l’article 3 et, spécialement en matière d’adoption, à l’article 21. Il est non moins certain que la jurisprudence de la Cour, dans diverses matières, s’appuie largement sur ce critère, depuis longtemps (voir Johansen c. Norvège, 7 août 1996, § 77, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, et de nombreux arrêts depuis lors).
Mais je ne peux suivre mon collègue que jusqu’à un certain point. Il n’est d’abord pas évident que l’intérêt supérieur de l’enfant soit d’être adoptée par Mme Gas, ce qui retirerait son autorité parentale à sa mère, Mme Dubois. Et quand bien même cela serait vrai, il est difficile de l’affirmer sans succomber au péché de la « quatrième instance ». Fuyons cette tentation.
En réalité, il faudrait pousser le raisonnement du juge Villiger jusqu’à son terme logique, et écarter l’article 365 du code civil au profit de la Convention. Il est certes tout à fait possible de le faire, comme la Cour l’a fait dans l’affaire Mazurek c. France (no 34406/97, 1er février 2000, CEDH 2000-II). Mais je ne considère pas que, dans une matière comme celle-ci, qui touche à de vrais problèmes de société, il incombe à la Cour de censurer aussi radicalement le législateur (ce que, d’ailleurs, le Conseil Constitutionnel – il est vrai au regard de la Constitution et non de la Convention – n’a pas fait : voir sa décision no 2010-39 QPC du 6 octobre 2010).
En réalité, et ce sera ma dernière remarque, la jurisprudence admet qu’il y a des domaines dans lesquels le législateur national est mieux placé que le juge européen pour changer des institutions qui concernent la famille, les rapports entre les adultes et les enfants, la notion de mariage. Je prends un exemple. La question du mariage homosexuel est un sujet de débat démocratique, dans plusieurs pays d’Europe. C’est largement pour cette raison que la Cour, dans un arrêt récent, a préféré exercer un contrôle restreint sur les choix nationaux (Schalk et Kopf c. Autriche, no 30141/04, CEDH 2010). Il me semble que la cohérence de la politique jurisprudentielle commande une démarche aussi réservée dans la présente affaire, même si l’économie de l’article 365 du code civil ne me paraît guère convaincante … Puisse donc le législateur français ne pas se contenter de la non-violation à laquelle nous avons conclu, et décider, si je puis dire, de revoir la question.
OPINION CONCORDANTE DU JUGE SPIELMANN
À LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE BERRO-LEFÈVRE
Je me rallie à l’opinion concordante du juge Costa, car je partage son avis que le seul terrain sur lequel « une discrimination pourrait être trouvée est l’inégalité de traitement entre deux adoptants, quel que soit leur sexe, selon que l’un est le conjoint du parent biologique et légal, et que l’autre ne l’est pas ».
Je suis d’avis que, contrairement à ce qui est affirmé au paragraphe 68 de l’arrêt, en matière d’adoption par le second parent, les requérantes se trouvent dans une situation juridique comparable à celle des couples mariés.
La raison pour laquelle j’ai en définitive voté pour la non-violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8, est que, tout bien pesé, il ne me paraît pas évident que cette différence de traitement soit contraire à la Convention.
Si la fille des requérantes ne peut avoir de lien juridique qu’avec sa mère, il me semble que cela n’empêche pas la vie familiale de se dérouler normalement. En cas de crise, la délégation de l’autorité parentale reste possible « lorsque les circonstances l’exigent » et surtout « dans l’intérêt de l’enfant », par exemple en cas de maladie ou d’accident grave frappant la mère. De plus, en cas de décès, Mme Gas pourra devenir la tutrice d’A. Enfin, l’adoption simple est toujours possible à la majorité de l’enfant.
Surtout, et plus fondamentalement, j’estime que cette affaire porte sur des questions pour lesquelles aucun consensus ne se dégage au niveau européen. Selon les tiers intervenants (organisations non gouvernementales spécialisées dans ce domaine et dont la compétence est reconnue), en février 2011, l’adoption par le second parent était possible dans dix des quarante-sept Etats parties à la Convention (soit 21,3 % de ces Etats : Belgique, Danemark, Finlande, Allemagne, Islande, Pays-Bas, Norvège, Espagne, Suède et Royaume-Uni).
Mais l’obstacle de l’article 365 du code civil reste problématique même s’il ne heurte pas en soi la Convention. Le statut juridique de l’enfant demeure empreint de précarité, ce qui n’est assurément pas dans l’intérêt de l’enfant, comme le démontre de manière particulièrement éloquente le juge Villiger dans son opinion dissidente.
C’est la raison pour laquelle je souscris à l’exhortation du juge Costa selon laquelle le législateur devrait revoir la question en adaptant le texte de l’article 365 du code civil aux réalités sociales contemporaines.
OPINION DISSIDENTE DU JUGE VILLIGER
(Traduction)
Je ne suis pas en mesure de souscrire à l’arrêt, qui conclut à la non-violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention.
Mon désaccord a trait à la perspective adoptée par l’arrêt, qui, à mon avis, n’identifie pas les éléments à prendre en compte pour déterminer si la mesure en cause était justifiée. L’arrêt se concentre sur les adultes et non sur l’enfant, qui pourtant fait partie intégrante des griefs des requérantes. A mon sens, il faudrait plutôt rechercher si la différence de traitement litigieuse est justifiée du point de vue de l’intérêt supérieur de l’enfant.
Il ressort de l’arrêt – et les intéressées l’ont bien dit lors de l’audience – que les requérantes ne souhaitent pas se marier. Ce qu’elles veulent, c’est l’obtention d’une autorité parentale partagée. Or l’article 365 du code civil français ne leur permet pas d’accéder à une adoption, parce qu’elles constituent un couple homosexuel. Une telle adoption ainsi que le partage consécutif de l’autorité parentale seraient cependant possibles dans le cas de deux adultes (dont l’un a un enfant) qui forment un couple hétérosexuel et qui contractent mariage.
Ce qui me préoccupe, c’est la situation des enfants au sein de tel ou tel type de relation. Les enfants d’un couple hétérosexuel bénéficient de la responsabilité parentale partagée si le couple est marié ; il en va autrement pour les enfants d’un couple homosexuel, car, dans ce cas, l’adoption est exclue. C’est là que réside pour moi la différence de traitement vue sous l’angle de l’article 14 combiné avec l’article 8.
Je dois préciser à ce stade que j’ai la conviction profonde – et selon moi ce point ne prête pas à controverse – que l’autorité parentale partagée correspond à l’intérêt supérieur de l’enfant.
Je ne vois pas de justification à cette différence de traitement. A mes yeux, tous les enfants doivent recevoir le même traitement. Je ne vois pas pourquoi certains enfants, et d’autres non, devraient être privés de ce qui est dans leur intérêt supérieur, à savoir l’autorité parentale partagée.
En effet, qu’y peuvent les enfants s’ils sont nés d’un parent membre d’un couple homosexuel et non hétérosexuel ? Pourquoi l’enfant devrait-il pâtir de la situation des parents ? Comme la Cour l’a déclaré dans l’affaire Mazurek c. France (no 34406/97, § 54, CEDH 2000-II) au sujet de la situation défavorable d’un enfant adultérin :
« (…) l’enfant adultérin ne saurait se voir reprocher des faits qui ne lui sont pas imputables : il faut cependant constater que le requérant, de par son statut d’enfant adultérin, s’est trouvé pénalisé (…). »
Dire, comme en l’espèce, que cette différence de traitement est justifiée parce que le mariage jouit d’un statut particulier dans la société ne me convainc pas. Ce raisonnement peut éventuellement être justifié du point de vue du législateur lorsqu’il s’agit de faire la distinction entre le mariage et d’autres formes de vie commune. Cependant, cela ne constitue pas l’unique perspective dans la mise en balance des différents intérêts protégés par les articles 14 et 8. En effet, la position de la société ne devrait même pas représenter le principal point de vue (et encore moins le seul, comme dans le présent arrêt). La situation de l’enfant ne devrait-elle pas être tout aussi importante ? Justifier la discrimination vis-à-vis des enfants en soulignant que le mariage confère un statut particulier aux adultes qui s’y engagent est à mon avis insuffisant dans cet exercice de mise en balance.
En fait, l’origine du problème en l’espèce semble être l’interdiction générale visant le partage de l’autorité parentale à l’égard des enfants du parent membre d’un couple homosexuel. C’est le point faible de toute législation qui régit un ensemble de situations sur la base d’une seule norme. Ces législations générales engendrent immédiatement des problèmes de proportionnalité, en particulier – et j’insiste sur ce point – dans les affaires ayant trait à la vie familiale.
La Cour a été confrontée à ce type de législation générale sur le terrain de l’article 8 de la Convention, notamment dans des affaires dirigées contre l’Allemagne, où, dans certaines circonstances, la loi empêchait tous les pères d’avoir des contacts avec leurs enfants. Dans ces affaires, la Cour a estimé que la législation était rigide au point d’être disproportionnée et que, dans l’intérêt supérieur de l’enfant, il convenait plutôt que le juge statuât au cas par cas (Zaunegger c. Allemagne, no 22028/04, 3 décembre 2009, Anayo c. Allemagne, no 20578/07, 21 décembre 2010).
Concernant l’espèce, je ne prétends nullement que les requérantes devraient être autorisées à se marier, ce que de toute façon elles ne souhaitent pas. Je ne me prononce pas non plus sur les questions d’adoption. J’attire simplement l’attention sur une discrimination qui lèse l’intérêt supérieur de l’enfant.
Dans l’intérêt supérieur de l’enfant né dans le cadre d’une relation homosexuelle, je pense que l’intéressé doit recevoir le meilleur des traitements offerts aux enfants nés dans le cadre d’une relation hétérosexuelle, à savoir l’autorité parentale partagée.
Pour ces raisons, je conclus que dans cette affaire seule une justification insuffisante a été fournie en ce qui concerne la discrimination en cause. Dès lors, il y a eu à mon sens violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8.
ARRÊT GAS ET DUBOIS c. FRANCE
ARRÊT GAS ET DUBOIS c. FRANCE
ARRÊT GAS ET DUBOIS c. FRANCE – OPINIONS SÉPARÉES
ARRÊT GAS ET DUBOIS c. FRANCE – OPINIONS SÉPARÉES